J’écris ton nom

Pour un instant, la liberté, Arash T.Riahi, 28 janvier 2009

abbas

Il est des films qui vous bouleversent, vous heurtent de l’intérieur. Des films dont le récit se pend à votre esprit, médusé par tant de beauté et d’humanisme. Des films entêtants, dont on ne sort pas indemne, des personnages qui s’accrochent à vos pas, une fois sortie de la salle de cinéma, une fois rentré chez vous. Des films qui vous transcendent et vous ouvre au monde, à l’autre. Le cinéma « engagé » comme on l’appelle communément,  un cinéma qui fissure et fait exploser les aprioris. Nous en avons là une nouvelle figure en la personne de Arash T.Riahi avec son prodigieux : Pour un instant, la liberté.

Longtemps, la politique m’a principalement évoqué un sujet de discorde entre mon père de droite, mon grand père communiste et ma grand-mère socialiste. C’était un domaine abscons pour moi, et loin d’être électrisant … Il a fallut attendre mes années socio pour que j’entrebâille cette porte et que je me penche au-dessus du lit politique. A l’heure actuelle, si ma conscience politique est encore loin d’être aboutie, un acteur capital tend à la stimuler et à la développer : le Cinéma. D’où qu’il vienne: d’Espagne, des Etats-Unis, du Japon, de Corée … d’Iran. Cet Art concoure à me guider, me donner des clefs de compréhension, me donner envie d’aller plus loin sur un sujet donné. Il me parle. Selon moi, le Cinéma – pas n’importe lequel, ne nous méprenons pas – est vérité. Il n’est pas quelques heures suspendues hors du temps et de toute réalité au cœur d’une salle sombre. Il est des plus concret, il est politique, social.

Pour un instant, la liberté m’a raconté la vie et le destin d’immigrés iraniens et kurdes, les a rendus réels, fait de chair et d’os, d’espoirs, de souffrances. Pour un instant, la liberté a mis des visages, a incarné ce qui n’est que chiffres et quotas au cœur d’un discours politique. Le cinéma me parlera toujours davantage qu’un laïus politique. Ainsi, je crache sur l’immigration choisie faite d’utilitarisme et de peur de l’autre. Je crache sur la peur de l’autre. Je me permets de prendre un détour politique avant de me recentrer sur l’aspect cinématographique – bien que les deux soient ici intimement mêlés. On parle actuellement de politique d’immigration sans « tabou », courageuse. C’est l’argument brandi par la droite pour en parler. Caresser l’opinion dans le sens de ses peurs, c’est exactement le contraire du courage. François Héran, démographe, explique fort judicieusement dans son essai le temps des immigrés que le destin de la population française repose sur l’immigration. Les projections démographiques annoncent que celle-ci deviendra le principal, voire l’unique facteur de croissance de la population d’ici à une génération. Dans ce cas, mieux vaut préparer un brassage grandissant de la population plutôt que de s’enfermer dans la dénégation et le versant ultra-sécuritaire.

Dans le film de T.Riahi, se loge, aux côtés de la problématique des conditions de l’immigration et des politiques européennes de plus en plus restrictives, la critique acerbe d’une société iranienne liberticides et muselante. Un régime qui étouffe toute contestation, qui diabolise l’occident. Ou les gêneurs sont assassinés, pendus. Ce film est aussi le cri d’un Iranien qui veut voir renaitre son pays sous un jour nouveau. Ironie des 30 ans de la « révolution » islamique iranienne. Et au delà du prisme iranien, c’est une ode à la liberté que claironne le réalisateur.

Non content d’être un film politique et social d’une puissance colossale, Arash T.Riahi le réalise avec une extraordinaire maitrise. Des scènes d’une poésie infinie – dont la grâce est appuyée par de superbes mélodies orientales – côtoient des scènes d’une gravité et d’une tristesse folle. Des plumes tourbillonnant dans le froid de l’hiver turc, la caméra au sol, en contre plongée, suspendant leur vol. Un vieil enseignant et son ami kurde se faisant tabasser par des nationalistes turcs. Le regard assoiffée et plein d’espoir d’un jeune garçon, le sourire lumineux de sa mère. Un homme aux abysses de la détresse et du tourment, s’immolant devant l’Organisation des Nations Unis. Un jeune homme affamé poursuivant un cygne dans une scène extravagante et truculente à la Kusturica. L’interrogatoire et la torture de jeunes iraniens par les services secrets de la république islamique. L’histoire d’amour naissante de deux jeunes êtres au beau milieu de ces tribulations. La fusillade d’insurgés. Les rires d’enfants, leurs jeux de billes. La déchirure d’une séparation, les grands parents courant derrière le minibus emmenant leurs petits enfants, le voile de la grand-mère ondoyant dans les airs, tombant presque, pour laisser découvrir une humanité et une tendresse inouïe.

La maitrise du réalisateur tient aussi en sa capacité à porter les personnages. A leur donner de l’ampleur, par le biais d’une exploration méticuleuse de leurs psychologies, leurs personnalités, leurs motivations, leurs aspirations, leurs racines. C’est ce fin et minutieux travail qui insuffle cette formidable authenticité au film, cette vérité qui émane de chaque scène.

La grande habilité de la réalisation réside également dans le choix de faire se croiser les personnages (en duo, trio ou quatuor) sans pour autant qu’ils établissent de véritables liens. Ils s’effleurent, se rencontrent – dans le minibus, à l’hôtel- mais conservent des destins singuliers. Ainsi, le spectateur les aime, un à un. A tour de rôle, tous.

Il y a ces deux jeunes garçons, Ali et Merdad, chargés de conduire à leurs parents Asy et Arman (que sa grand-mère appelle Armani lorsqu’ il est vilain …), deux irrésistibles bambins. Elle, le rire suspendue aux étoiles. Lui, tout confectionné de malice et d’espièglerie, la moue boudeuse et adorable. Au cours de cette épopée pour les mener en Autriche, le réalisateur parvient à dépeindre avec acuité et justesse les rapports fraternels – donc rivaux- qui se tissent entre les deux jeunes hommes. Rapports qui se cristallisent autour de la conquête d’une jolie turque. Et lorsqu’Ali réapparait, à la suite de plusieurs jours de torture, les enfants pendus à ses bras, exténués, traumatisés, il saute à la gorge de Merdad, l’accusant d’avoir délaissé les petits au profit de « cette fille » (les services secret iranien ayant enlevé Ali et les enfants au retour d’une soirée en boite de nuit à laquelle Merdad était resté pour flirter avec la jeune femme). Mais c’était là l’expression d’une blessure aiguë due au choc de la torture d’une part et à la jalousie virile de l’autre. Ils finissent en pleurs, dans les bras l’un de l’autre. Merdad ayant remué ciel et terre pour les faire libérer.

Il y a ce couple et leur fils. Ils rêvent de l’Allemagne. De pas grand chose somme toute : un travail, un logement, une place dans une école pour leur fils. Très politisé, ils organisent des réunions dans leur chambre d’hôtel pour écouter à l’unisson la radio iranienne et déraisonnent en imaginant entendre que la république islamique d’Iran a été renversée. Le père ne parviendra jamais à obtenir un visa pour sa famille. Et, au comble du désespoir, destitué de sa place de père, vaincu, il s’immolera devant l’Organisation des Nations Unies. Sa femme et son fils obtiendront alors les visas tant désirés. Mais elle ne partira pas. Elle retournera en Iran et combattra de l’intérieur. Ce portrait de femme est splendide, étonnant mélange de grâce et de force, contenu dans un sourire.

Il y a enfin ce vieux prof et son ami, un jeune kurde. Abbas et Manu. Un duo renversant, l’un parachevant l’autre : « tu es trop sérieux », « non je suis réaliste ». Manu est un astre, un feu d’artifice. Il pétarade et magnifie un quotidien brumeux et déprimant. Certes, il est menteur, lorsqu’il envoie à son village au Kurdistan, des photos le mettant en scène accoudé à une Mercedes, ou enlaçant une jolie blonde bien décolleté. Mais comme il le dit si bien « comme ca ils ne s’inquiètent pas pour moi … Puis un jour peut-être tout mes mensonges deviendront réalité ! ». Abbass est un homme-rocher. D’une intégrité et d’une dignité sans faille. Il continue à chanter en Kurde lorsque des nationalistes le tabassent pour avoir parlé une autre langue que le turc. Du sang coule sur son visage, il chante. Les coups sont assénés, il chante.

Le film s’achève sur la première scène. Que l’on revoit avec un regard neuf. Un regard acéré, un regard enflammé. Abbas est l’un des fusillés. Il ne retrouvera jamais sa femme, il n’atteindra jamais son rêve d’ailleurs, ses aspirations à une vie douce et paisible. La caméra, sans bruit, glisse vers son visage abimé, mais monté d’un regard fier presque rieur. Une dernière image surchargée de grandeur et d’humanité : Vive la liberté !


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